I Retranscription de l'arrêt:

Arret Contradictoire de la Cour des Aides

Qui infirme une sentence du Grenier à Sel de Mayenne, du 9 avril 1748, en ce qu’elle déclare nul un procès-verbal de capture, fait en forme de simple rapport par un exempt & quatre cavaliers de maréchaussée : Et qui juge qu’ils ne sont point assujettis aux formalités requises pour les procès-verbaux des commis, qu’il suffit qu’ils aient affirmé leur rapport & aient été répétés dessus pour opérer ces condamnations pécuniaires, comme s’ils avaient rempli la disposition de l’article XIX du titre XVII de l’ordonnance de 1680.

 

Du 28 août 1748

Extrait des Registres de la Cour des Aides

 

LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY De France et de Navarre : Au premier huissier de notre Cour des Aides, ou autre notre huissier ou sergent sur ce requis. Savoir, faisons que entre Thibault Larue adjudicataire général des fermes du Roy, appelant de sentence du grenier à sel de Mayenne du 9 avril 1748, d’une part, & Julien Cotterau marchand, demeurant en la paroisse de Saint-George-de Villaine, intimé, d’autre part ; & entre ledit Larue, demandeur en requête du  premier août (du) présent mois, tendante à ce qu’il plaise à la cour mettre l’appellation & et ce au néant, en ce que ladite sentence déclare le procès-verbal de capture, fait de la personne dudit Julien Cottereau, conduisant un cheval chargé de faux-sel, par un exempt et quatre cavaliers de maréchaussée, & son emprisonnement, nuls, faute par eux d’avoir observé les formalités prescrites pour les commis ordinaires dudit Larue, & ordonne son élargissement, en ce qu’ordonnant la confiscation du sel et du cheval saisis, elle a déclaré ledit procès-verbal nul, & ordonne aussi l’élargissement dudit Cottereau, en ce qu’elle ne l’a pas condamné en l’amende, & et en ce qu’elle a condamné ledit Larue pour dommages et intérêts, aux dépens ; & émendant quant à ce, déclarer ledit procès-verbal de capture fait dudit Cottereau régulier ; décharger ledit Larue des condamnations contre lui prononcées par ladite sentence ; condamner ledit Cottereau en trois cens livres d’amende & et en tous les dépens, tant des causes principale que d’appel, sauf & sans préjudice de tous les autres droits & actions dudit Larue, d’une part, & ledit Cottereau défendeur, d’autre part ; & entre ledit Cottereau demandeur en requête du 5 août (du) présent mois, tendante à ce qu’il plaise à la Cour mettre l’appellation au néant, ordonner que ce dont est appel, sortira son plein & entier effet ; condamner ledit Larue en l’amende & et aux dépens de la cause d’appel & demande, & le condamner en outre en ses dommages et intérêts ; eu égard à la longueur de sa détention & au tort que ses affaires domestiques & sa santé en ont souffert, & aux frais qu’il a été obligé de faire pour sa guérison, à raison de cinq livres par jour, à compter du jour dudit arrêt jusqu’à son parfait rétablissement, sans préjudice de ses autres droits, actions et prétentions, & à prendre dans la suite d’autres conclusions, d’une part, & et ledit Larue défendeur d’autre (part). Après que Boudet, avocat de Larue, Auvray avocat de Cottereau ont été ouïs (entendus), & après que par arrêt du 27 août dernier notredite Cour a ordonné qu’elle en délibérera, & ayant délibéré, a mis & met l’appellation & ce dont est appel au néant, en ce que par la sentence le procès-verbal a été déclaré nul, & ordonné l’élargissement de Cottereau, & en ce que la partie de Boudet a été condamnée aux dommages-intérêts, & et aux dépens : émendant (revenant sur la décision du Grenier à Sel) quant à ce (cela), a déchargé ladite partie de Boudet, des condamnations contre lui prononcées, condamne la partie d’Auvray en l’amende de trois cents livres, & en tous les dépens des causes  principale, d’appel & demandes. SI MANDONS mettre le présent arrêt à due et entière exécution, de ce faire donnons pouvoir. Donné à Paris, en la première Chambre de notredite Cour des aides, le vingt-huitième jour d’août, l’an de grace mil sept cens quarante-hui, & de notre regne le trente-troisième. Collationné. Par la Cour des Aides. Signé RIGALCAULET.

 

 

 

A PARIS,

DE L’IMPRIMERIE ROYALE

___________________

  1. DCCXLVIII

 

 

II Le contexte historique :

La décision ci-dessus retranscrite a été rendue le 28 août 1748 par la Cour des Aides sous le règne de Louis XV (règne de 1715 à 1774) 32ème roi capétien. On peut s’interroger sur la mention en fin de l’arrêt de « trente-troisième ».

La guerre de succession d’Autriche va bientôt se terminer par le traité d’Aix la Chapelle qui sera signé en octobre.

 

 

III La cour des Aides :

Les cours des Aides étaient les tribunaux chargés, au civil et au criminel, de juger souverainement ( = sans recours possible, du moins en thérorie), les affaires relatives à la levée des impôts tels que la taille, les aides, les octrois, la gabelle et de juger en appel les décisions rendues par les élections, greniers à sel, juges des traites.

La cour des Aides qui a rendu l'arrêt ici retranscrit est celle de Paris (dont la compétence est la plus étendue de France, à l'instar du Parlement de cette même ville).

 

IV Les parties au procès:

Il y a deux parties:  le sieur Cottereau et l'adjudicataire général des Fermes, le sieur Larue.

--> Cotterau :

En première instance, devant le grenier à sel, le plaignant était Cotterau. Il avait certainement (ne disposant malheureusement pas de la décision du grenier à sel, on ne peut qu'émettre des suppositions en fonction de ce qui est précisé dans l'arrêt de la cour des aides) demandé la nullité du procès-verbal de capture et des dommages et intérêts pour le préjudice subi (durée de l'emprisonnement, préjudice lié à ses affaires personnelles dont il n'a pu s'occuper compte tenu de son emprisonnement et préjudice moral).

Il était intimé devant la cour des Aides. Ce vocabulaire (appelant, intimé) est toujours en vigueur de nos jours. Celui qui fait appel d'une décision est l'appelant et celui qui se défend sur cet appel est l'intimé.

Cottereau était défendu (du moins en appel) par Auvray.

 

--> Larue (parfois orthographié La Rue) :

Adjudicataire général des Fermes. Il ne s'agit que d'un prête-nom, les véritables titulaires du bail étant les financiers (une cinquantaine en général) ou Fermiers généraux qui faisaient l'avance au Roi des impôts indirects (aides, gabelle, traites notamment) et récupéraient sur le contribuable (avec un bénéfice conséquent) l'avance ainsi faite.

Défendeur en première instance, il a été condamné à une amende dont on ignore le montant pour le préjudice subi par la personne illégalement (du moins, selon la décision du Grenier à sel) arrêtée.

Il fit donc appel de la décision de ce grenier et demande la réformation de cette décision ainsi que la condamnation de Cotterau à payer 300 livres d'amende pour le délit de faux-saunage.

Il obtiendra finalement gain de cause devant la Cour des Aides.

Il était défendu (du moins en appel) par Boudet.

 

V L’article XIX du titre XVII de l’ordonnance de 1680 :

La décision se base sur cet article de l'ordonnance de Louis XIV de mai 1680.

Pour une présentation succincte de cette ordonnance : http://histoireparleslivres.fr/2021/01/16/gabelle-lordonnance-de-mai-1680/

Le titre XVII concerne le faux-saunage.

L'article XIX est ainsi rédigé :

"Le Procès-verbal signé de deux Gardes, & par eux affirmé véritable, sur lequel ils seront répétés devant l'un de nos officiers des Greniers à Sel, & l'interrogatoire des Accusés sur ce qui est contenu, sans signification de faits & articles, suffiront, sans autres procédures, pour les condamnations pécuniaires."

 

VI La décision :

Il s’agit d’une décision de justice de la Cour des Aides statuant sur un appel d'une décision du Grenier à Sel de Mayenne (ville actuellement située dans le département de la Mayenne).

La décision concerne une affaire pénale relative au faux-saunage, c'est-à-dire à la contrebande de sel. La ville de Mayenne est à la limite de la Bretagne, pays rédimé, c'est-à-dire exempté du paiement de l'impôt sur le sel, aussi appelé Gabelle. La ville de Mayenne était alors située dans la province du Maine. Le Maine faisait alors partie de la zone où la Gabelle était la plus élevée, zone appelée région de Grande Gabelle. Il était donc fort tentant de faire passer du sel de la Bretagne où cette denrée était bon marché et de le revendre dans une zone où il était très cher. Le bénéfice pouvait être multiplié par 10.

C'est ce qu'a tenté de faire le sieur Julien Cottereau, marchand de son état. L'arrêt de la cour des Aides nous apprend qu'il "conduisait un cheval chargé de faux-sel", c'est-à-dire de sel de contrebande. Il semble qu'il était à cheval et qu'il ne conduisait pas une charrette tirée par un cheval puisque la décision nous indique que seul un cheval a été saisi.

Toujours est-il qu'il a été arrêté par un exempt et quatre cavaliers de la maréchaussée alors qu'il pratiquait son coupable commerce.

Le cheval du sieur Cottereau a été saisi ainsi que le faux sel. Toutefois, aucune condamnation n'a été prononcée à son encontre  en première instance car, selon cette juridiction (le grenier à sel), le procès-verbal dressé par la maréchaussée est nul car n'ayant pas fait l'objet de la procédure adéquate. Malheureusement, je ne dispose pas de cette décision qui aurait pu nous éclairer sur la motivation retenue.

C'est l'adjudicataire général des fermes du Roi, le sieur Larue, qui a été condamné par le grenier à sel à des dommages et intérêts et aux dépens (frais de justice)! Ce qui est assez paradoxal puisque c'est quand même Cottereau qui s'est rendu passible de sanction en passant du faux sel.

A hauteur d'appel, devant la Cour des Aides, la  décision de première instance est mise à néant (nous dirions aujourd'hui "infirmée en toutes ses dispositions") et le sieur Cottereau est condamné à 300 livres d'amende outre tous les frais de justice (le salaire d'un ouvrier, selon sa qualification, était de 100 à 300 livres par an).

 

VII Le vocabulaire:

Faux sel: sel de contrebande.

L'adjudicataire général des fermes du roi est un prête-nom derrière lequel se cache les financiers de la Ferme Générale, les fermiers généraux qui sont cautions de l'adjudicataire.

Seul le nom de l'adjudicataire apparaît sur les titres officiels et les procédures. Il est en général de basse extraction (par exemple, le successeur de Larue, le sieur Girardin, adjudicataire en 1750, était le valet de chambre du compte Machault d'Arnouville). 

L'exempt est un employé en général et en l'espèce, du grenier à sel de la ville de Mayenne.

La ferme était une association de financiers qui étaient chargée de collecter l'impôt indirect. Au XVIIIè siècle, elle avait le monopole de la collecte de pratiquement tous les impôts indirects devant revenir au roi (aides, traites, gabelle). Les financiers faisaient l'avance au roi du montant total de l'impôt prévisible, moins les charges nécessaires à la collecte, et récupéraient leur dû sur les contribuables. On comprend la rigueur dont ils faisaient preuves car, plus ils récupéraient d'argent, plus leurs bénéfices étaient élevés (une fois déduits la somme versée par avance au roi et les frais de gestion). Les fermiers généraux étaient haïs et bon nombre d'entre eux furent guillotinés lors de la Révolution comme le célèbre Lavoisier.

Le contrat qui lie la ferme au roi se fait sous la forme d'un bail d'une durée de quelques années, en général 6 ans. Il prend le nom de l'adjudicataire, en l'espèce, le sieur Larue.

Le bail Larue a duré de 1744 à 1750.

Le grenier à sel  recouvre plusieurs notions. Il était d'abord, le lieux de stockage du sel, mais également, l'administration du ressort dudit grenier ainsi que la juridiction tranchant les litiges relatifs au sel.

La maréchaussée est l'ancêtre de notre gendarmerie. La maréchaussée était une troupe chargée du maintien de l'ordre et de la police.

 

Bibliographie:

  1. Les institutions de la France aux XVIIè et XVIIIè siècles par Marcel MARION aux éditions PICARD
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